Sur le sol fumant, je trace
avec ma branche un cœur
que du pied aussitôt j’efface
parce que, je le réalise, le monde en face
me remplit d’effroi, de peur et d’horreur
Quarante générations de hantises et de bêtises
deux cents décennies de vieilleries et de convoitises
deux mille ans de haine, de mépris et de sottises
ont-ils eu raison de la bonté des hommes ?
détruite par le feu de la violence, comme jadis Sodome
Éperdus, que devenus nous sommes, des maltraitants
des bêtes perdues dans des myriades de prisons
décimées et morcelées par le souffle usant
de la brutalité, que secrètement nous chérissons
j’ai vu nos corps empilés et laissés à l’abandon
nos âmes gisant, dépossédées, dans le soufre brûlant
J’avais l’innocence et la grâce de mes neuf ans
quand je regardais mes visions et mes désirs
s’élever vers le ciel, comme s’envolait mon cerf-volant
c’était le « hors-du-temps » des lumières et des sourires
des courses à pied, des pirouettes et des éclats de rire
l’instant-présent, où j’imaginais avant de m’endormir
Sur le sol dansant, j’esquissais
avec mon rameau un cœur
qu’avec mon doigt je redessinais
parce que, je l’embrasse, le monde que j’idéalisais
me comblait de beauté, de sérénité et de bonheur
Quarante générations de confiance et de bienveillance
deux cent décennies de nouveauté et d’intelligence
deux mille ans d’harmonie, de générosité et de concordance
auraient-ils eu raison de la méchanceté des hommes ?
immolée dans le feu de la compassion, et en Shalom
Rassérénés, que devenus nous étions, des affranchissants
des éveillés magnifiés, dans des pléiades de libertés
créés et unifiés par l’enivrement rajeunissant et ravivant
de l’Amour, que ostensiblement nous exaltions
j’admirais nos corps délivrés vibrant à l’unisson
et nos âmes se soulevant dans les flammes de la vérité
J’avais l’innocence et la grâce de mes neuf ans
l’instant-présent, où j’imaginais avant de m’endormir
